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Roginsky entre à venise par la porte rouge
12.06.2014

Roginsky entre à venise par la porte rouge
Liana Chélia Roginsky ©Anastasia Rufin pour AMA

Entretien avec Liana Chélia Roginsky

L’Université Ca Foscari rend hommage au peintre Mikhail Roginsky dans le cadre du programme parallèle de la 14e biennale d’architecture de Venise. L’exposition « Beyond the Red Door » présente plus de cent pein- tures réalisées après son émigration d’URSS, en 1978.

Mikhail Roginsky est un grand nom de l’art russe de la seconde moitié du XXe siècle. Pionnier du mouvement non conformiste en URSS dans les années 19 60, encore baptisé Sots Art (ou pop art soviétique), Roginsky n’a cessé de rechercher de nouvelles formes picturales. Cela l’a conduit à des variations de style cardinales entre ses diverses périodes artistiques ; de l’abstraction la plus austère aux scènes faussement naturalistes, en passant par des ready-made originaux, dont la fameuse Porte Rouge est l’emblème le plus connu.

Art Media Agency a rencontré Liana Chélia Roginsky, veuve de l'artiste, et co-fondatrice de la Fondation Mikhail Roginsky, afin d’expliquer ce choix de la biennale d’architecture de Venise pour faire découvrir, quasi- ment pour la première fois, l’œuvre de son mari au public occidental.

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Mikhail Roginsky 


H. Mikhail Roginsky a vécu un tiers de sa vie en France, de 1978 à sa mort en 2004. Comment se fait- il qu’il y soit resté anonyme, alors qu’au même moment en Russie ses œuvres rencontraient un tel succès, surtout après la chute de l’URSS ?
Lorsque nous sommes arrivés à Paris en 1978, Roginsky s’était déjà fait un nom dans le milieu de l’art russe. Il avait déjà réalisé ses œuvres emblématiques au sein du mouvement des non conformistes. Ce n’était pas tant un mouvement artistique coordonné, qu’un ensemble d’artistes très différents que ras- semblait la volonté commune de faire de l’art librement, en refusant de se plier au diktat de la peinture académique imposée par le régime soviétique


Comme beaucoup d’autres artistes, nous avons quitté l’URSS pour qu’il puisse continuer ses recherches picturales sans contraintes. De ce point de vue, c’était plutôt positif, car il s’est ouvert à de nouveaux mé- diums, comme l’acrylique et le carton. Et il a pu enfin découvrir les artistes contemporains occidentaux. Au début, il passait son temps au Centre Pompidou, même s’il portait un regard souvent critique sur les artistes qui y étaient exposés. En revanche, côté notoriété, ce n’était pas évident. Il ne connaissait per- sonne et personne ne le connaissait...

Il n’a pas cherché le soutien du Ministère de la Culture, car, venant d’un pays où l’État dictait sa loi à la culture, il avait de grandes réticences à entretenir quelque relation avec des institutions étatiques. Il s’est contenté de faire le tour des galeries pour montrer ses toiles. La plupart du temps, il ne trouvait que dédain et mépris pour sa personne et son travail. Un galeriste l’a carrément chassé car il refusait de s’intéresser à des œuvres d’un artiste vivant... C’était un exercice désagréable et assez humiliant. Il a vite arrêté de dé- marcher, pour se concentrer uniquement sur la création de nouvelles œuvres dans son atelier de Créteil.

Quelques galeristes l’ont exposé tout de même. Georges Lavrov, un galeriste d'origine russe, a organisé trois expositions de 1983 à 1988 dans sa galerie près de Beaubourg. Mais, c’est sa femme qui finançait la galerie. Dés qu’ils se sont séparés, l'espace a fermé. Puis Jorge Alyskewycz, rue des Taillandiers, a essayé. Il appréciait sincèrement le travail de Roginsky mais il était incapable de le vendre.

À l’inverse, la Russie du début des années 1990 redécouvrait avec enthousiasme les artistes qui avaient opposé de la résistance au système soviétique. Une importante exposition intitulée « les précurseurs du pop art russe », en 1993, a largement rendu honneur à Mikhail Roginsky, aux côtés de ses amis Boris Turetsky et Mikhail Chernyshev, émigré aux États Unis.

Il a ensuite régulièrement été exposé par des galeries moscovites, et, en 2002, le Musée Tretiakov, à Mos- cou, lui a consacré une grande exposition. En 2008, le Musée Pouchkine a organisé une nouvelle grande et prestigieuse exposition. Elle a été annulée la veille du vernissage pour des questions de succession. Ce genre de problème de division successorale est malheureusement le lot de nombre de grands artistes.

Cela nous a fait perdre quelques années pour le promouvoir, en Europe, en particulier. Heureusement, sa no- toriété en Russie n’a pas souffert de cet interlude. Il occupe solidement sa place dans l’histoire de l’art russe.

Comment caractérisez-vous la différence entre les tableaux réalisés en russie et ceux réalisés en France ? Pourquoi s’être cantonné à la période parisienne ? 

L’exposition « Beyond the red door » donne un aperçu de son œuvre depuis notre arrivée en France à sa mort en 2004. Elle est divisée en huit sections, dont chacune montre une facette de Mikhail Ro- ginsky, qui était un expérimentateur infatigable.

Tous les dix ans au moins, il a changé assez radicalement sa manière de travailler. Mais même à l'in- térieur de chaque période, son travail varie beaucoup. Parfois les périodes se recoupent. Il travaillait souvent par séries, puis il se lassait, et cherchait de nouvelles idées. Ses thèmes sont récurrents, même à des décennies d’écart. Ce qui fait dire à un critique russe que « les tableaux des années 1960 repré- sentent la répétition générale de ce qu'il a fait dans les années 2000 ».

À part la « porte rouge » qui symbolise sa période russe, toutes les œuvres exposées ont été peintes en France.

La période parisienne a été moins montrée. Il y a des tableaux des années 1980, que j'affectionne par-des- sus tout, de très grands formats. Je trouve qu'ils sont plus faciles d’accès, ils sont simplement beaux.

Pourquoi avoir choisi la Biennale d’architecture de Venise pour dévoiler cet artiste en Europe?

Cette exposition est une initiative de la Fondation Mikhail Roginsky que nous avons créée cette année avec Inna Bazhenova, qui édite par ailleurs le journal The ArtNewsPaper Russia.

L’Université Ca Foscari héberge le CSAR, centre d'étude de l’art et la culture russes, qui s’intéresse depuis longtemps à l’œuvre de Roginsky. Ils ont un espace d’exposition merveilleux, dans un magni- fique palazzo donnant sur le Grand Canale.

Lorsqu’ils nous ont proposé d’y exposer Roginsky, nous avons accepté avec enthousiasme, d’autant que cette année marque les dix ans de la disparition de mon mari, et il nous paraissait indispensable de lui rendre cet hommage. 

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Red Door
Mikhail Roginsky
vue de l'exposition à Venise ©Anastasia Rufin pour AMA 

Certes cette année est celle de la Biennale d'architecture, et non de l’art, mais leurs organisateurs ont trouvé que l’œuvre de Roginsky s’accorde parfaitement avec le thème de cette année « les fondamen- taux » dont le commissaire est Rem Koolhaas. Outre une forte présence de sujets architecturaux dans sa peinture, Roginsky est véritablement un artiste qui est allé très loin dans la décomposition de la représentation picturale en éléments fondamentaux.

La relative austérité de la Biennale d’architecture, moins « glamour » que la Biennale d’art, convient bien à Roginsky. Être un des seuls artistes exposés lui permet de ressortir plus avantageusement et lui évite d’être noyé dans une foule d’artistes plus tape à l’œil.

Roginsky est-il finalement un artiste russe ou français ?

C’est une question difficile. Lorsque nous avons quitté l’URSS, nous avons été déchus de la nationalité so- viétique, puis, quelque temps après, avons obtenu la nationalité française. À la chute de l’URSS, Roginsky a obtenu à nouveau la nationalité russe, mais il n’est jamais retourné y vivre.

Mikhail Roginsky a donc effectué la moitié de sa carrière en France, c’est un artiste français au sens du droit d’auteur. Plus français même que nombre d’artiste que la France a reconnu comme siens. En Russie, la notorié- té lui est venue naturellement, sans efforts de sa part. Il trouvait cela naturel et s’est refusé à faire des efforts pour être plus connu en France. Mais ici, personne ne s’est intéressé à lui et à son travail. Il s’en fichait.

La reconnaissance internationale aurait été certainement plus rapide et facile si nous avions émigré aux Etats Unis, comme l’ont fait la plupart de nos amis. Mais, nous avions des chiens, auxquels nous ne voulions pas faire subir la quarantaine imposée par l’immigration américaine.

Je reste persuadée que le temps est le meilleur juge de la qualité d’un artiste, et que, même si ce processus est plus long, Roginsky finira par affirmer sa place à l’échelle internationale, et non seulement en Russie.  

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